Voici un petit compte-rendu en forme de croquis littéraire, du voyage professionnel à la Foire Internationale du livre de jeunesse de Bologne, et pour lequel j’avais été sélectionnée parmi onze autres jeunes auteurs-illustrateurs, en Mars 2013. Ce projet pour le quel nous étions la promotion « pilote », a été organisé par la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse, et le MOTIF, observatoire du livre en Île-de-France. Après le succès de cette première opération, le projet est reconduit d’année en année.
Bologne en 2013, c’était cette année sous la pluie , et dans le désordre, ça a été tout ça : une arrivée par le train, au petit matin sous la pluie, un dimanche, des rues vides, un sac trempé ; un capuccino, des croquis gris sur une Piazza Maggiore déserte, au son des merles.
Bologne, c’était douze illustrateurs franciliens, tous différents, mais réunis pour la même expédition;c’était la création d’un bestiaire en noir et blanc, mille six-cent flyers distribués dans les allées de la foire, un workshop de linogravure donné à un groupe d’étudiants lyonnais, une coréenne et deux journalistes italiennes.
Bologne, c’était des rendez-vous avec des éditeurs suisses, polonais, italiens, espagnols… c’était montrer et remontrer son book, c’était dénicher, flairer, gratter, dégotter les petites merveilles d’éditions étrangères, pêcher les contacts, les tickets, les lignes éditoriales, les concours, les idées, des noms d’artistes et des directeurs de création, c’était trottiner jusqu’à l’épuisement dans toute la Foire, c’était faire frétiller ses orteils douloureux dans la baignoire de l’hotel, le soir.
Bologne, c’était le mur des illustrateurs couverts de cartes, le pavillon 29, le pavillon 30, oh le Mexique! le Portugal! et puis l’exposition des lauréats passé au crible de l’analyse enthousiaste d’Anna Castagnoli (les figure dei libri).
C’était sirotter un jus de fraise pour les cinquante ans de la Foire en regardant les dessins à la mine de plomb fins comme des cheveux, créatifs comme l’Enfer, d’un duo d’illustratrices hyper-douées.
Bologne , c’était apprécier la qualité de l’édition italienne, rester perplexe devant un stand ukrainien, avoir envie de hurler devant la plupart des stands américains dont le design ressemble à celui des plateaux-télé, et les livres-produits à des paquets de céréales. Mais Bologne c’était aussi être super fier de l’édition française (bonne nouvelle, on est trop forts : cocorico!), c’était pousser des cris d’admiration devant les livres graphiques et inouïs de Somebooks (Corée), et ceux de Tara (Inde).
Bologne, c’était serrer avec ferveur la grande paluche de Mattotti, trimballer jusqu’au soir un de ses livres gros comme un dictionnaire, retrouver par hasard des copains illustrateurs parisiens sur un stand russe. Bologne c’était des vernissages, une expo d’illu par-ci, une expo d’illu par là, et demain on va là. C’était du vin rouge fruité, un salami énorme, des gravures suédoises, des discussions avec les gens d’un salon effervescent de la micro-édition, de ceux qui auto-éditent des livres de photos sur la mer, sur les murs, et sur les villes, ou des livres réalisés à la photocopieuse.
Bologne, c’est des pizzas au speck bien chaudes, des glaces au praliné bien froides, des ricottas blafardes, et bien sûr des pâtes en sauce, au restaurant Donatello, dont les murs sont couverts de photos d’illustres et moins illustres du monde entier, venus s’y sustenter.
Bologne, c’était des errances interminables, à quinze, dans les rues rouges, pour trouver un restaurant qui ne serait pas complet et qui nous accepterait tous ensemble, c’était une bruyante taverne d’étudiants couronnés de lauriers, fêtant leur diplôme à coup de Prosecco.
Bologne c’était l’incroyable galerie-atelier de sérigraphie Squadro, avec des gars super-pointus qui vous recréent n’importe quelle teinte à l’oeil du premier coup, et qui exposent des images si fortes, qu’elles vous rendent fadasses toutes les expos d’après. Sauf bien sûr celle de Mattotti, encore lui, qui vous embarque dans un sombre voyage au pays des esprits et vous laisse presque épuisé par la force de ses images tournicotantes à l’encre noire.
Bologne, c’était un cloître sous la pluie, avec de grandes plantes vertes qui écoutent les oratorios de Sainte-Cécile, c’était des arcades sans fin, des tours médiévales, vestiges d’une époque barbare à vous faire frémir, des églises à tous les coins de rue, des dalles de marbre. Bologne c’était une salle vide et silencieuse de la Pinacothèque, où vous êtes resté muet d’émotion devant une fresque qui tombe en poussière, mais où les visages roses des filles et des anges sont vivants, plus de sept-cent ans après leur création.
© 2013 Pauline Kalioujny.