Retour en images sur l’exposition « Ce fameux livre », qui s’est tenue à Paris, à la Médiathèque Françoise Sagan, du 16 au 31 octobre 2015. Nous étions quarante illustrateurs à revisiter un livre d’enfance qui nous avait marqué. Fouillant dans le fonds de littérature pour la jeunesse soviétique de la médiathèque, j’avais concocté pour l’occasion, un petit chaperon à la sauce kolkhozienne. Suite à cette stimulante expérience artistique, un projet d’album pourrait bien naître : à suivre.

Titre de l’illustration : Le petit chaperon « rouge », conte soviétique, 60 x 80 cm (3 tirages avec variations. 2 tirages sont vendus (fonds de la Médiathèque F .Sagan, et collection particulière))
Technique utilisée : Linogravure et huile sur papier Laurier 180 gr.
Livre de référence : LA JOURNÉE DU 8 MARS + Le Petit Chaperon Rouge (Boris Krioukov, Charles Perrault).

TEXTE DE PRÉSENTATION
« Il était une fois, dans un komsomol de l’oblast de Tomsk, en Sibérie, une jeune fille travailleuse qui ne ménageait pas sa peine sur le chantier de l’usine métallurgique.
Elle avait pour habitude de porter, été comme hiver, un foulard rouge, si bien que tout le monde l’appelait Le petit chaperon rouge ».
Si je n’ai pas eu entre les mains, enfant, La journée du 8 mars de Boris Krioukov, auteur ukrainien dont on ne sait pas aujourd’hui pas grand-chose, j’ai bel et bien été nourrie au biberon de littérature et de chansons russes, d’images et de références soviétiques, et – moins amusant – d’histoires de rideau de fer, et de famines.
Héritière de cette double culture française et russe-ukrainienne, j’ai décidé d’adapter, avec une touche d’humour et de second degré, un conte phare de notre enfance à la sauce soviétique. Mon travail pour l’exposition « ce fameux livre » ne s’arrêtera pas là, puisqu’il donne naissance à un livre. Projet à suivre !
Naissance et technique de réalisation de l’illustration
Mon illustration représente la fameuse scène de la chevillette, dans Le petit chaperon rouge de Perrault. La phrase mythique « Tire la chevillette et la bobinette cherra » m’a paru épatante à traiter en typographie, il a donc fallu adapter et dessiner les lettres de l’alphabet latin. La représentation du Chaperon est stylisée, elle porte le fameux foulard rouge de la kolkhozienne, et les valienki, les bottes en feutre typiques. J’ai voulu représenter le mécanisme de la chevillette sous un angle technique et fonctionnel, en manière de clin d’œil aux représentations de machines et d’outils dans les albums de Krioukov, Marchak et Lebedev. La composition est très structurée, calée sur des lignes de forces puissantes et des diagonales, que viennent souligner des signes typographiques ; il faut l’imaginer comme la double-page d’un album. Je voulais quelque chose de raide et de très dynamique à la fois, une image forte comme une affichette.
Pour réaliser mon image, j’ai utilisé la linogravure, technique que j’emploie habituellement, et qui est ma marque de fabrique. Elle raisonnait particulièrement bien avec la technique du pochoir, largement utilisée dans l’album soviétique. En effet, un livre en deux ou trois couleurs reste commode à reproduire à grande échelle, même si en Union soviétique, l’impression de ces livres à des dizaines de milliers d’exemplaires, et sur des papiers médiocres, produisait parfois des décalages de couleur plus ou moins grands, mais qui paraissent graphiquement intéressants.
Réaliser le tirage de mon image n’a pas été une mince affaire, notamment parce qu’elle est de grand format. Vous pouvez observer trois couleurs, une gamme qui reprend celle chère aux illustrateurs russes : noir, rouge, ocre ; à chaque couleur correspond une plaque gravée, et tout l’art consiste à bien caler les plaques pour que les passages de couleur correspondent.
La littérature de jeunesse soviétique
C’est La journée du 8 mars qui m’a le premier « tapé dans l’œil ». Les attitudes des personnages, les compositions affirmées, les couleurs franches, la représentation de la femme, lisant le journal après le travail à l’usine, l’utilisation du pochoir… Me prenant au jeu et me passionnant pour littérature de jeunesse soviétique, j’ai passé de longs moments dans le fonds historique de la Médiathèque Sagan (anciennement Heure joyeuse), à en étudier les codes graphiques, afin de me glisser dans la peau d’un illustrateur de ce temps. Les thèmes pragmatiques et technocrates qui y sont abordés, peuvent amuser aujourd’hui ; ainsi, on peut y trouver des titres comme « Comment le rabot a fabriqué un rabot », ou encore « comment la carotte est devenue du sucre ».
Marchak et Lebedev, duo légendaire, attirent particulièrement l’attention, avec une œuvre axée autour de la technique, de la vitesse, de la modernité, avec des textes et des illustrations radicales, impactantes, une utilisation particulièrement intéressante de la typographie, des formes et des compositions étonnantes de contemporanéïté. Dans « Hier/aujourd’hui », ils mettent en avant les grandes inventions du siècle : eau courante, électricité, machine à écrire, et proposent de faire table rase d’une Russie archaïque. L’aspect qui m’a également beaucoup intéressée, c’est que nombre d’auteurs et illustrateurs pour la jeunesse soviétique étaient avant tout des poètes et des artistes menant des recherches expérimentales, et considérant le support de l’album comme un espace d’expression à part entière, ce qui n’est pas sans entrer en résonnance avec ma propre démarche. Leur mission n’était pas mineure, car on pensait à l’époque devoir éduquer les masses, et ils constituaient d’intéressants outils au service de l’idéologie soviétique. Mais… avaient-ils vraiment le choix ?