Très remuée après la grande VENTE D’ILLUSTRATIONS AU PROFIT DE L’ACCUEIL DES RÉFUGIÉS, organisée par l’association Encrages à Paris, le 13 décembre 2016, j’avais rédigé (voir après le portfolio) un petit croquis à l’état brut, avec l’envie de partager sur les réseaux sociaux cette expérience unique et très intense. L’événement a eu lieu à la Rotonde Stalingrad, haut lieu symbolique dans Paris puisque des camps de réfugiés syriens, maliens, értythréens et afghans, s’étaient spontanément installés sous le métro aérien, avant que la préfecture ne les démantèle sans ménagement. Depuis, le concept de cette soirée artistique, citoyenne et solidaire essaime à Nantes, Angoulême, Lyon et Rennes, bientôt Marseille…


« Hier, avant l’ouverture de la grande vente d’illustrations au profit de l’accueil des réfugiés, nous, illustrateurs et auteurs pour la jeunesse principalement, avons proposé des ateliers artistiques. Et c’était bien le moment le plus fort de la soirée, de mon petit point de vue d’artiste. Nous avions proposé pour les ados du collectif TIMMY, (branche du CPSE, Comité Parisien de Soutien aux Exilés, qui vient en aide aux mineurs isolés), mais aussi pour tout le public de la soirée, enfants et adultes, parisiens et étrangers : des fresques collectives dessinées par, et à mettre en couleur avec Judith Gueyffier, Carole Chaix, Géraldine Alibeu, Aurélia Fronty, Clémence Pollet, Magali Atiogbé, Marie Quentrec…, de la sérigraphie avec Giampierro et Arianna Tamburini, qui ont imprimé comme des dingues toute la soirée, et avec le public, sur la « Cariole sérigraphique ». Des ateliers-portraits dessinés (Marielle Durand, Audrey Spiry, Joelle Jolivet, Anne Rouquette et Rémi Courgeon) , réalisés en monotypes (Marc Daniau), des pop-ups et des ateliers d’écriture (Thomas Scotto), et des dessins pliants à tous les sens du terme (proposé par Roland Garrigue et moi-même).
Ça va vous paraître naïf, mais bon tant pis. J’ai repensé à ces petits moment de partage, mais pourtant si forts avec les garçons maliens, et j’en reste si retournée, que je voulais vous le raconter. Étonnée et remuée d’avoir parlé de l’Afrique, d’avoir mis des visages et des prénoms sur le mot « réfugiés », d’avoir appris à dire «pintade», «serpent», «maison», «corde» ou «puits» en Bambara, d’avoir raconté à Mamadou Traoré, 16 ans, qui me demandais comment j’arrivais à dessiner comme ça, que notre métier, c’était d’écrire et de dessiner des livres pour les enfants. Mamadou Traoré me regarde un moment et il me dit : «tu ne viens pas d’Asie, toi?», je lui réponds: «presque : mon père est russe, il est venu en France, et ma mère est française, mais je suis née à Paris». Alors il me raconte que son frère est parti en Russie pendant 6 ans, et qu’il y avait appris le russe avant que son visa ne soit périmé. Je lui dis que ça alors! mon frère est aussi en Russie, en Sibérie. Il confond avec le Cybercafé. Ça me fait rigoler. L’autre Mamadou (on en a deux, à notre table), commence l’atelier un peu crevé, un peu méfiant; il nous dit qu’il veut du café, qu’il veut rentrer au Mali : mince. Finalement il se prend au jeu, et finit après trois ou quatre essais, par dessiner au feutre noir une femme qui pile du maïs dans un pot. Une demi-heure plus tard, il veut toujours rentrer au Mali, mais il me propose de venir avec lui. Je rigole, je lui dis que je n’ai jamais été en Afrique.
Et les garçons restent jusqu’au bout avec nous. Mamadou m’explique son dessin de puits, le système de poulie, la corde, la structure, tout ça… En face, un autres de nos ados dessine avec talent et sensibilité pintades, maisons, et fleurs multicolores magnifiques. Mohamed, qui affiche un sourire éclatant, d’autant plus déchirant que lui reste silencieux, nous rejoint un moment pour dessiner quelques fruits. Le tout jeune Omid d’Afghanistan s’installe, très intimidé par les petites filles parisiennes survoltées, en pleine forme créative ! On comprends rien à ce qu’on se dit, avec Omid, mais c’est pas grave : on dessine (faut dire que l’interprète galère franchement à traduire «ver-de-terre-chevreuil» en Dari). Zélie et sa soeur (et leur maman) sont des fans de la première heure des livres de Roland, ça cartonne ! Sur les dessins de Marilou, Samuel, Mélissa, Cosimo et les autres, les lapins mignons deviennent de monstres, les petits arbres deviennent grands, les théières deviennent des samovars, et un éléphant de Noël violet se déploie sous nos yeux. Le petit afghan Tchaï, 3 ans, avec son papa qui préfère que je lui parle anglais, se concentre au moins une heure (!) sur le coloriage d’une chenille dépliante que je lui dessine en direct, avec des fleurs autour (on dit Goul en afghan, je crois). Épuisés – et nous aussi, mais très contents du succès de l’atelier – tout ce petit monde part goûter au refuge pour piocher dans les montagnes de gâteaux préparés et servis par les bénévoles au top.
Au moment de me coucher, j’ouvre mon livre sur les symboles :
« Puits » dans de nombreuses cultures, le puits représente le centre de la vie. Les femmes se réunissaient autour pour échanger les nouvelles de la journée. Cela peut donc être un signe de communication ».
Voilà : communication, partage, échange. On me prendra sans doute pour une licorne, mais tant pis, car voilà : je sais que notre métier sert vraiment à quelque chose… et croyez-moi, je n’ai pas été la seule hier soir !
Pauline Kalioujny, 14 décembre 2016.
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L’album de photos suivant a été constitué par l’Association Encrages (site officiel) / Crédit photos : Myriam Drosne et Sambath Kong
Cette opération caritative a rencontré un très vif succès, Encore un GRAND MERCI à tous, artistes, contributeurs, publics étranger et parisien. On a enregistré une affluence record, la totalité des oeuvres données gracieusement par plus de quatre-vingt illustrateurs a été vendue ! L’association Encrages a collecté plus de 15000 euros, qui sont actuellement reversées aux associations d’aide aux réfugiés, ou transformés en matériel et nourriture, puis donné à des collectifs de citoyens qui viennent courageusement en aide aux réfugiés sur le terrain. Les vêtements chauds et les chaussures collectés ont tous servis, et habillé le soir même certaines personnes en grande précarité. Et nous avons dessiné, colorié, raconté, échangé, lu, traduit, écouté, joué, grignoté des gâteaux, partagé une délicieuse soupe bio, chanté des chansons du monde entier, le tout dans une ambiance chaleureuse et familiale.